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ASPECTS
TECHNIQUES ET CONCEPTION
Les terres noires au
manganèse
Le
noir unique de cette argile est dû
à
l’apport d’oxyde métallique de
manganèse. A
1180°C, à deux doigts de la fusion et
de l’écroulement de la pièce, on
obtient ce noir
presque laqué. A 1165°C on
obtiendra un noir plus mat et à 1155°C un noir
légèrement brun.Placé en bas ou
en haut du four, cette qualité de noir va aussi varier. Ce
sont
les enjeux
aléatoires de la céramique. Les cuissons et les
réalisations sont faites, soit
au gaz pour les grandes pièces, soit à
l’électricité à la Fondation
Bruckner de
Carouge (GE).
Les
peintures rupestres de la
Grotte de
Lascaux, dont les noirs sont des oxydes de manganèse, datent
de
trente mille
ans. On sait maintenant que les hommes réalisaient des fours
en
pierre pour
fondre le minerai de manganèse .Ce beau noir
servira
à peindre ces animaux
magnifiques à l’intérieur de leurs
grottes.
La
plus vieille céramique
découverte à nos
jours ; une tête d’ours datant de 26'000
ans a
été trouvée à Dolni
Vestonice en
République Tchèque.
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Les terres vernissées
bleues
Avec
ma femme nous avons réalisé deux
voyages en Iran, ( quel merveilleux pays ! ), où
nous avons
pu admirer les dômes des
mosquées recouvertes de ce bleu turquoise
légendaire.
J’ai eu envie de me
rapprocher de cette technique de faïence, cuite à
980°C, qui depuis plusieurs
siècles, constitue, comme à
Ispahan, une
des merveilles du monde.
L’origine
de ces bleus s’explique
ainsi : une plante abondante poussant dans le
désert, le
Kirkboren, très
riche en silice et en soude a
donné
une
clef aux céramistes. Sous leur foyer, les Perses ont
découvert la fixation de
l’oxyde de cuivre grâce à la
présence de
cette plante .Ils en déduisirent ainsi
le processus de la silice, dont le point de fusion est
abaissé
par la soude……
cette plante, utilisée par hasard pour allumer leur feux
jouait
un rôle clef.Le
cuivre donne ces bleus turquoises qui va couvrir l’Asie
mineur de
sa lumière
célestiale Grâce à la
sécheresse de
l’air, lors des grands gels hivernaux, ces faïences
ne sautent pas. J’ai donc mené une patiente
recherche avec
Claude Presset pour
sortir un émail matifié fixant cet oxyde de
cuivre.
Ce
cuivre sous forme de sulfate va
exprimer toute la gamme du bleu turquoise au brun noir en passant par
le vert
eau et même le grenat pourpré en cas de cuisson
sans
oxygène.Ces variations
s’obtiennent en fonction de l’épaisseur
de la couche
appliquée. Là aussi, les
surprises sont de tailles, comment maîtriser une
épaisseur
si sensible ?
Ce sont ces même sulfates de cuivre qu’on observe
sur les
anciens murs ayant
porté une vigne, on les reconnaît par leurs
couleurs
bleutées ou verdâtres.
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Terres enfumées
cuites au bois dans des fours dits
primitifs
Ce
que j’aime c’est le long processus que
nécessite un four papier.
Ce four, comme un
ventre d’éléphant à la
peau mille fois plissée. Silencieux d’abord, comme assoupi, il va grogner dans ses fumées acres.
Lentement sa peau va craqueler. Atteignant
les 900 degrés il va devenir un
véritable creuset ou
bouillonne le rouge translucide des pièces, comme les organes
nobles dans le secret
de son corps. Et puis soudain, dans la nuit profonde,
après 15 ou 20 heures de travail, de la cheminée (
la trompe levée de
l’éléphant ! ) bruit, siffle, mugit cette puissante flamme à
3
mètres de hauteur, elle jaillit
comme une épée translucide dans
le sombre du ciel, d’un bleu unique, gaz repu d’une digestion
phénoménale. Et sur ce flot
d’émotions on
gagne les 1000° heureux…..voir mort.
Ces
cuissons m’inspirent bien sûr
crainte et respect, du fait de
l’enjeu : à chaque fois je mets un
personnage de grande dimension (modelé
d’une seule pièce, 100 kg de terre, 2 mètres de
haut). Dresser cette pâte glaiseuse, la modeler, lui
imprimer mon
désir, la transporter au four
……….cuire
ce personnage afin qu’il se
révèle au
contact du feu. Comme si enfin l’immense fragilité de
l’argile pouvait reconquérir
l’esprit de la pierre, et passer du
fragile-humide-émouvant à
l’ignition de la vie et de son éternité.
Trois
jours après, étendu sur la
sole dans le poudroiement de la
cendre, se lève un étranger.
Enfumé au
cœur même de sa chair, il est
là.
Il
me faut à chaque fois prendre le temps
de l’accueillir
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Les pâtes de
verre à l’Egyptienne
Il y a 5'000 ans,
l’Egypte nous a légué
des statuettes, des scarabées et ces fameux hippopotames
bleus en pâte de verre, de petits
à très petits formats. Cette très
ancienne
technique convient au
climat sec
de l’Egypte. La pâte de verre
comme les
enfumages a cette qualité particulière de faire
émerger les couleurs du cœur de
la pièce alors que l’ émail
traditionnel recouvre
la pièce.La pâte de verre
demande une approche différente. Lorsque l’on est
dans le
grand format comme
les pièces ici exposées, cette pratique est
très
délicate pour les raisons
suivantes : la pâte de verre, composée de
silice, de
soude et d’oxyde
métallique, est comme une pâte à
pain.La forme que
vous lui donnez s’affaissera
vingt minutes plus tard en
perdant toutes ses tensions. C’est pourquoi les Egyptiens
recouraient aux moules, ceux-ci permettent
de commencer la première
séquence du séchage en contenant et
en donnant la forme à ce
matériau inerte
comme du sable, contrairement à l’argile dont
chaque
variété possède un
tempérament unique. Puis libérée du
moule, le
séchage, en profondeur peut
commencer, permettant à l’eau sodique
de
migrer vers l’extérieure, emportant en elle les
oxydes
métalliques vers
la surface, qui se colore et
se vitrifie. Apparaît
alors
les efflorescences sur toute la surface de la pièce comme
des
cristaux de givre au point
qu’elle
va disparaître sous
ce duvet soyeux de 2 à 4 cm ! Travailler la
pâte de
verre qui est très
lourde dans des grands formats, (70 kg pour la Pacha Mama), est
délicat voir
exceptionnel, parce que cette matière n’ayant pas
la
cohérence de l’argile ne
peut
faire son retrait et va se fendre au
séchage et
se morceler à
nouveau sous le
feu du four (980°C). On bascule donc entre
unité vitrifiée somptueuse
(comme le lièvre rouge) et pièces
toutes morcelées exprimant les tensions de sa
matière.Tous les oxydes
métalliques (chrome, cuivre, cobalt, cadmium,
etc…) ayant
migrés vers
l’extérieur, le dedans des pièces est
blanc.
J’affectionne
ici ce « combat
d’incarnation » parce
que la matière colorée ne
s’exprime pas
toujours, et s’écroule même au
démoulage.
C’est le même processus qui
s’apparente à celui des fours primitifs et
qui a orienté ma sculpture jusqu’ici.
Là
encore, j’interroge cette cohésion primordiale de
la
matière que fait la vie, oscillant
entre démembrement et unification. En
m’éloignant
récemment de ces rivages
parfois tragiques, je me suis tourné vers le feu qui va
emplir
la forme :
le bronze. Cette fois l’eau de métal en fusion, va
directement habiter la forme
dans une soudaineté lumineuse et silencieuse entre implosion
et
explosion…….une
contraction, une coagulation….. c’est
à
dire un corps.
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Adam, mythe et
processus
d’incarnation
Il
est intéressant de noter
qu’ayant, pour
la seule et unique fois utilisé du bois de chêne
pour la
cuisson, j’ai débouché
sur une pièce extrêmement friable. Une stupeur
m’attendait au défournage :
d’une sculpture entière et sans fissure
déposée sur la sole du four allait
sortir un Adam qui se cassa dès qu’on le dressa
sur ses
pieds. L’excès de
carbone, dégagé pendant trois jours au lieu des
deux
jours habituels dû au fort
pouvoir calorifique du chêne, avait complétement
ruiné la cohérence de
l’argile, le rendant friable à
l’extrême.
J’ai dû le remplir de ciment.
Adam
le mortel, sauvé d’un
feu toxique,
est là.
Jean
Marie
Borgeaud, Septembre 2012
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