L'argile |
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L'argile
Faire
un corps d’argile et par le feu reconquérir
l’esprit de la pierre. Reconquérir,
parce que l’argile se fait par
la lente érosion des roches, des montagnes
elles-mêmes. Parce que l’immémoriale
et puissante râpe des glaciers avance et comprime les granits
les plus durs et
les use. Cette poussière de pierre sans cesse
entraînée par les eaux de
ruissellement va faire son voyage et finalement se déposer
au fond des creux
d’eau, jusque dans les lacs clairs. La masse immobile des
eaux va à son tour
compresser de son poids cette vase des cimes que le temps se chargera
de
sédimenter, avec cette odeur de grotte où
déjà frémit quelque chose de
l’incarnation. La terre fraîche,
légèrement durcie est le plus bel état
de
l’argile, on parle de consistance cuir ou chaire :
c’est son corps jubilant.
Lorsque la vague se retire après le déferlement
de l’eau, apparait le sable au
travers de l’écume qui se retire, à
travers le sable remontent des bulles d’air
libérées de leur enfermement. Ce sable humide si
ferme et si souple sous les
pieds nus est un corps jubilant.
Le
feu transcende ce corps et le céramiste
transforme l’humide et le malléable, il
ramène l’argile sur le chemin du
minéral. Le feu transcende ce corps et le dépose
devant la montagne. Du cœur de
ses mains traverse une cohésion, une conscience qui habite
les pièces façonnées
dans l’argile. Le feu du four rejoint le feu de la vie, la
métabolise et nous
amène à une autre pétrification, une
autre matérialité. Dans ce langage qui
parcourt l’atelier, dans cette marne capricieuse
s’incarne parfois la verticale
foudre
jaillissant de la nue. Cette argile, cette marne (de margila en gaulois) serait-elle le corps de l’eau, serait-ce son enfant ? Jean-Marie Borgeaud , La Louvière - août 2012 |
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