Suspendue
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Suspendue
 
    Faire un corps d’argile et par le feu reconquérir l’esprit de la pierre.  Reconquérir, parce que l’argile se fait par la lente érosion des roches, des montagnes elles-mêmes. Parce que l’immémoriale et puissante râpe des glaciers avance et comprime les granits les plus durs et les use. Cette poussière de pierre sans cesse entraînée par les eaux de ruissellement va faire son voyage et finalement se déposer au fond des creux d’eau, jusque dans les lacs clairs. La masse immobile des eaux va à son tour compresser de son poids cette vase des cimes que le temps se chargera de sédimenter, avec cette odeur de grotte où déjà frémit quelque chose de l’incarnation. La terre fraîche, légèrement durcie est le plus bel état de l’argile, on parle de consistance cuir ou chaire : c’est son corps jubilant. Lorsque la vague se retire après le déferlement de l’eau, apparait le sable au travers de l’écume qui se retire, à travers le sable remontent des bulles d’air libérées de leur enfermement. Ce sable humide si ferme et si souple sous les pieds nus est un corps jubilant. Cette argile, cette marne (de margila en gaulois) serait-elle le corps de l’eau, serait-ce son enfant ?

    Le céramiste transforme l’humide et le malléable, il ramène l’argile sur le chemin du minéral. Le feu transcende ce corps et le dépose devant la montagne. Du cœur de ses mains traverse une cohésion, une conscience qui habite les pièces façonnées dans l’argile. Le feu du four rejoint le feu de la vie, la métabolise et nous amène à une autre pétrification, une autre matérialité. Dans ce langage qui parcourt l’atelier, dans cette marne capricieuse s’incarne parfois la verticale de la foudre jaillissant de la nue.

le feu brûle l’eau
le feu brûle l’air
il est la relation
son corps creuse le vide de sa lumière

    La suspendue pose une question. Elle évoque le corps et le non-corps (l’espace?). Elle évoque l’enfermement sacralisé par le mystère de sa question:
Qui suis-je… mes pieds touchent le ciel, ma tête s’enfonce dans la terre.
 
  Comme un fantôme, ravi par le celestial. Dans l’air vibrant, au bout de son fil, rien ne semble la faire tressaillir.
  Elle dit :
Je suis la limite au-delà de laquelle on ne peut aller.
Donne-moi le sang de ton corps, je suis la vie.
Je suis le paradoxe.
Je suis le corps pendu au bout de mon fil, comme l’araignée dont le venin convulse ses proies sans les tuer, les hibernant seulement dans une entrave de soie, les jetant dans le songe douloureux de l’attente.
Ici on perd la raison, le corps est livré sans esprit parce que le venin agit.
 
  Vents chauds qui tournoient le long des falaises, aspirant les oiseaux au-dessus du gouffre
le corps résistant à la pression
la poche des eaux s’est vidée
…..apparaît le corps
sur la plage marneuse
la mer s’est retirée.
 
 
Jean Marie Borgeaud , novembre 2008