A propos de mes cuissons

    Ce que j'aime c'est le long processus que nécessite un four papier.

    Ce four chaque fois différent, est comme un ventre d'éléphant à la peau mille fois plissée. Silencieux d'abord,  comme assoupi, il va grogner dans ses fumées âcres. Lentement sa peau va craqueler. Atteignant les 900 degrés  il va devenir un véritable creuset ou bouillonne le rouge translucide des pièces, comme des organes nobles dans le secret du corps. Et puis soudain, dans la nuit profonde, après 15 ou 20 heures de travail, de la cheminée (la trompe levée de l'éléphant!) bruit, siffle, mugit cette puissante flamme à 3 mètres de hauteur, elle jaillit comme une épée translucide dans le sombre du ciel, d'un bleu unique, comme le gaz repu d'une digestion phénoménale, et sur ce flot d'émotion on gagne les 1000° heureux... voire mort.

    Ces cuissons m'inspirent bien sûr crainte et respect, du fait de l'enjeu: à chaque fois je mets un personnage de grande dimension (modelé d'une seule pièce, 120 kilos de terre, 2 mètres de haut). Dresser cette pâte glaiseuse, la modeler, lui imprimer mon désir, la transporter au four... Cuire ce personnage afin qu'il se révèle au contact du feu. Comme si enfin l'immense fragilité de l'argile pouvait reconquérir l'esprit de la pierre. Comme si on passait du fragile-humide-émouvant à l'ignition de la vie et son éternité...

    Trois jours après, étendu sur la sole dans le pourdroiement de la cendre se lève un étranger que personne n'a vu (pas même moi). Enfumé, au coeur même de sa chair il est là.

    Chaque fois un peu aveuglé par ce qu'il est devenu, il me faut prendre le temps de l'accueillir.